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Race Across France 2500km 2025

1 août 2025

Pourquoi cette course ? Mon retour sur la Race Across France

J’ai choisi de revenir cette année sur la Race Across France, car c’est un format que j’apprécie particulièrement. C’est la course d’ultra distance la plus exigeante du circuit français — et aussi la plus longue. Elle demande de maîtriser bien plus de paramètres qu’un 500 ou même un 1000 km : la gestion du sommeil, des arrêts en base de vie, une météo souvent changeante, et bien sûr la fatigue extrême qui s’accumule sur plusieurs jours.
L’an dernier, j’ai beaucoup appris sur la gestion de l’effort, du sommeil, de l’alimentation, mais aussi sur la stratégie à adopter sur ce type de défi. Et j’ai eu le sentiment que j’avais encore des choses à tirer de cette course avant de passer sur des formats plus longs, comme la Transcontinental Race (environ 4000 à 4500 km).

Mon objectif cette année était aussi d’améliorer mon chrono de 7 jours et 1 heure réalisé l’an dernier.

Une préparation différente

Ma préparation a été pensée différemment cette année. Je me suis inscrit à deux courses de 500 km, avec pour objectif de réduire mes temps d’arrêt. Résultat : 1h d’arrêt à Paris, 1h30 en Belgique. J’étais satisfait à Paris, un peu moins en Belgique où j’ai fait quelques erreurs, mais elles m’ont été utiles.

Depuis la dernière édition, j’ai aussi :

- travaillé davantage la force en musculation et renforcé spécifiquement les cervicales,

- renforcé mes tendons et mes pieds via du trail pendant l’hiver,

- changé de vélo pour une position plus confortable,

- Fais des bivouacs pour m’habituer à dormir peu et enchaîner de longues journées en selle,

- Et intégré plus de préparation mentale, notamment à travers mes courses et dans les semaines qui ont précédé la RAF.

Mes ambitions

Mon premier objectif était simple : finir. Sur une course aussi longue, tout peut arriver. Mais si les conditions le permettaient, je visais aussi un meilleur temps que l’an dernier, avec en ligne de mire un passage sous la barre des 7 jours.
Et bien sûr, je voulais prendre du plaisir, profiter au maximum de cette aventure, et en apprendre encore plus sur moi-même. Physiquement et mentalement, je me sentais plus prêt que jamais. Je connaissais les codes de cette course, mais je savais aussi que pour atteindre mon objectif, il faudrait encore plus de rigueur, de patience et de détermination.

Ma stratégie de course

Ma stratégie était la suivante : faire une grosse percée jusqu’à Langeais pour y dormir le jeudi soir (le départ étant donné mercredi à 19h30), puis enchaîner les plus grosses journées possibles dans chaque tranche de 24h. J’avais une idée précise des endroits où dormirjusqu’à Clermont si tout se passait bien, ainsi qu’un repérage minutieux des points d’eau et de ravitaillement, essentiels sur ce parcours sauvage et peu fourni en commerces.

Au moment du départ, je me sentais bien. Mais aussiultra impatient. J’y pensais depuis 7 mois. J’avais hâte de partir, car je me sentais prêt. Mais plus l’heure approchait, plus l’attente laissait de place à la cogitation… et aux premiers doutes.

Cette année la RAF 2025 c’est :

- Un départ de Dinan en Bretagne

- Passage dans les Monts d’Arrée

- Quelaines : Base de vie 1

- Le plateau des Millevaches

- Passage dans les Causses du Quercy

- Montastruc la Conseillère : Base de vie 2

- Passage dans les Volcans d’Auvergne

- Clermont Ferrand base de vie 3

- Parc naturel des Baronnies provençales

- Alpes de haute Provence

- Digne les bains : Base de vie 4

- Mercantour

- Jausiers : Base de vie 5
- Arrivée : Mandelieu

J-3 à jour J : L’avant course

Avec Antoine et Jonas, nous avons décidé de partir le dimanche, soit trois jours avant la course, en direction de Dinan. L’idée était de nous offrir un sas de décompression et surtout de concentration avant la course phare de notre saison. L’occasion de nous reposer, de manger convenablement grâce aux plats préparés par Antoine le cuistot, et de commencer à remplir nos sacoches avec notre matériel. Ces trois jours sont toujours enrichissants, car c’est l’un des rares moments de l’année où nous nous retrouvons tous les trois. Ce temps est d’autant plus précieux à l’approche d’une course aussi belle. Le programme est simple : lever sans réveil, petit déjeuner, préparation des sacoches, déjeuner, sieste, Critérium du Dauphiné à la télé, 1h de vélo pour se décrasser, douche, dîner et dodo.

Jour J – Le grand départ

Nous arrivons sur le lieu de départ vers 11h. La routine est bien rodée : récupération des dossards, vérification du vélo et du matériel obligatoire avec les bénévoles de l’organisation, puis dernier bouclage des sacoches avant le grand départ. Deux de nos sacs sont envoyés dans les bases de vie de Montastruc-la-Conseillère et de Digne. Ils contiennent des vêtements de rechange, des barres, des bonbons, des fruits secs… bref, du carburant pour la suite.

Il fait chaud, environ 30°C, avec un temps orageux. À 16h, nous assistons au briefing de course, suivi d’une pasta party pour ce qui sera notre dernier repas tranquille avant longtemps. Il me reste encore deux heures avant le départ, alors je vais m’allonger dans l’herbe pour tenter une courte sieste.

J1 : 690km – 29h

Les premiers kilomètres défilent. Je suis sur mes bases : je connais l’intensité à adopter pour ce début de course. Un juste milieu pour avancer sans s’ennuyer, mais sans griller trop d’énergie, car 30 heures de vélo m’attendent. Mentalement, je me sens bien. Je suis relâché : j’attendais ce moment depuis longtemps. Parfois, une pensée me traverse : « Il reste 2500 km... » Mais je la laisse passer. La route est longue, certes, mais elle est belle. Nous avons droit à un sublime coucher de soleil le long des côtes de la Manche. Je sors de ma bulle pour prendre quelques photos et vidéos. Puis la nuit tombe. J’ai déjà une centaine de kilomètres dans les jambes. Tout va bien.

La pluie est annoncée. Vers minuit, une première averse dense détrempe les routes, déjà sinueuses et glissantes. Il fait encore 19–20°C, donc je garde la veste de pluie au sec. Mais vers 3h, après plusieurs ondées, je m’arrête pour l’enfiler, tout en faisant le plein d’eau. Je mange et bois régulièrement, mais les coups de fatigue arrivent. Je dois m’arrêter 5 minutes sous un abri-bus pour une micro-sieste humide. La nuit se poursuit, rythmée par les averses et les nuages. J’ai hâte de revoir le jour.

Vers 7h, je regarde la météo : un orage est prévu juste après les Monts d’Arrée. À 8h, il se confirme, des seaux d’eau nous tombent dessus. La température remonte au fil de la journée. Je sèche vite. Quel soulagement ! Je m’arrête enfin dans une boulangerie pour recharger ma musette. Vers 17h30, au km 550, je m’arrête à la base de vie pour remplir mes bidons et manger un plat de riz, jambon et fromage. Je prépare quelques sandwichs pour rallier Langeais, mon logement du soir, au km 690. La route est roulante, les kilomètres s’enchaînent bien.

J’arrive à 00h30, très content de cette journée. Depuis le départ, j’ai vu deux couchers et un lever de soleil — assez magique. J’avais prévu d’aller dormir 25 km plus loin, mais j’ai préféré m’arrêter avec Antoine, qui a deux chambres. Après une nuit blanche, la somnolence commençait à me guetter. Objectif : 4h30 de sommeil pour bien récupérer après cette première grosse étape.

J2 Langeais - Tarnac: 300km

Départ à 5h après une nuit de sommeil agitée. Mon corps semble encore stressé par la première grosse journée, j’ai eu du mal à plonger dans un sommeil vraiment réparateur. Les premiers tours de pédales sont durs : il faut remettre la machine en route. Après environ 180 km, j’arrive sur le plateau des Millevaches. Mon compteur affiche 38°C. Je fais la course aux fontaines et aux cimetières, je bois énormément. Je m’arrête pour remettre une bonne dose de crème solaire : je sens que le moteur chauffe.

Vers 14h, je commence à me sentir mal. Je suis dans une montée exposée au soleil, sans vent. Je saigne du nez. Je décide de m’arrêter dans l’herbe, à l’ombre, pour faire baisser ma température corporelle. J’en profite pour une sieste. Après 30 à 40 minutes, je repars. Ça va un peu mieux. Mais cette journée sera la plus difficile pour moi —physiquement et mentalement. Je n’ai pas les jambes que je voudrais, je suis en retard sur mes temps de passage, et la chaleur m’écrase. Il faut malgré tout continuer. Moralement, c’est éprouvant.

Les routes sont sinueuses, parfois en mauvais état, et pas très roulantes… Même en descente, il faut pédaler. Après bientôt 900 km en 45h, ce n’est pas simple de garder le moral. J’ai du mal à prendre du plaisir dans ce décor, pourtant magnifique. Avis aux Corréziens et aux Lotois : votre région est splendide, mais je reviendrai avec de meilleures jambes et reposé pour l’apprécier pleinement ! Devant, c’est la guerre : Jonas approche du km 1100, le rythme est infernal sur ces routes vallonnées. Vers 18h, mes sherpas Gaëtan et Fred me trouvent un gîte-étape à Tarnac. J’y arrive à 22h30, complètement vidé : couvert de sel et de crème solaire, le visage marqué.

Je mange une assiette de charcuterie et de fromage que la patronne m’a gentiment laissée dans le frigo. Je file à la douche pour enlever toute cette crasse. En ouvrant ma sacoche arrière, je découvre une texture grasse et humide… Je comprends vite : ma ration de secours a explosé à l’intérieur. Mes sardines. Je vous épargne l’odeur… Avec la chaleur (certainement plus de 40°C dans la sacoche),tout a tourné. Gants, cache-cou, jambières et veste de pluie portent l’odeur... J’espère que les prochains jours resteront chauds, histoire d’éviter d’avoir à enfiler ces vêtements ! Je dors environ 3h. À 2h40, j’entends quelqu’un repartir dela chambre d’en face. Très discret, aucun bruit de roue libre. J’apprendrai plus tard que c’était Guillaume, le premier concurrent que j’ai doublé sur cette RAF. Merci encore pour cette bienveillance. On est en course, mais le respect entre concurrents surtout dans ces rares moments de repos est très fort.

J3 Tarnac –Montastruc la conseillère: 334 km

Je repars vers 3h du matin. La route est humide, un gros orage a visiblement traversé la région pendant que je dormais, heureusement pour moi ! Les premiers coups de pédale sont durs, je peine à me dynamiser. J’essaie plusieurs techniques : musique, respiration rythmée, mouvements dynamiques, étirements, tout en restant sur le vélo. Rien n’y fait vraiment. Vers 5h30, je pique du nez. Je ne prends pas de risque : je m’allonge 5 minutes sur le bas-côté pour une micro-sieste. Ça peut sembler court, mais j’ai maintenant l’habitude. Je fais le vide, me concentre, et je suis convaincu que ces 5 minutes prolongeront ma lucidité de 3 ou 4 heures.

Le jour se lève bientôt, ça va déjà mieux. Le parcours reste peu pourvu en commerces et boulangeries, alors dès que j’en vois une ouverte, je m’arrête et je remplis ma musette pour tenir jusqu’au soir. J’arrive à Montastruc-la-Conseillère vers 21h30, à la seconde base de vie. J’y retrouve mon premier drop bag : mes vêtements de rechange. J’ai la même tenue depuis le départ… inutile de dire que je ne me sens pas très propre !

Je discute un peu avec les bénévoles. Ça fait du bien de revoir des visages, d’avoir un peu de chaleur humaine après trois jours de solitude relative sur le vélo. Je file ensuite à la douche, je mange et je m’allonge sur un lit de camp pour dormir. Mais je ne dors pas très bien. Après 1h30, de gros tremblements m’empêchent de me rendormir. Je tente de me détendre, de récupérer malgré tout. Finalement, je me réveille naturellement après 2h30 ou 3h de repos. Je repars aussitôt, les poches pleines de barres… et de pains au chocolat. Euh, de chocolatines plutôt ! On est en Haute-Garonne, respect des traditions oblige.

J4 Montastruc - Besse: 326 km

À 2h30, je suis de nouveau en selle, direction Clermont-Ferrand. Nous reprenons la direction du nord, et j’ai hâte de retrouver de « vrais cols », avec du dénivelé positif digne de ce nom. Je préfère ce type de terrain : je peux me caler dans un rythme que je tiens pendant plusieurs heures. Sur terrain vallonné, c’est plus exigeant, il faut sans cesse adapter le braquet et la position. Je passe près de 12 heures en autonomie totale. Aucun commerce, aucun cycliste en vue. Heureusement que j’ai bien rechargé mes réserves alimentaires à Montastruc. À Villeneuve, au km 1450, je tombe enfin sur un magasin. Ça tombe bien : un gros orage éclate au moment où je passe la porte.

Je fais quelques emplettes : sandwichs, gâteaux, Coca… mais à la première gorgée, ma trachée me brûle. Mon estomac commence à saturer de ce genre d’aliments. Je sens que j’ai besoin de choses plus saines, plus simples. Je repars sous la pluie. En fin de journée, j’arrive à Aurillac, où je m’arrête au McDo (oui, on repassera pour l’équilibre alimentaire...). Mais je veux refaire le plein d’énergie avant d’attaquer ce que j’attends depuis longtemps : le Puy Mary. Une montée de 15 km dans un cadre exceptionnel. Ce genre d’endroit me redonne de l’énergie : je me sens revivre.

Puis vient le col de Chamaroux, plus facile sur le papier, mais moins roulant. Il est 21h, il fait 12°C, un petit crachin s’installe, le vent se lève. Je commence à me refroidir.

Je sais que je dois m’arrêter à Besse, au km 1650. Dans ma tête, c’est « bientôt », alors je serre les dents. Je ne prends pas le temps de me couvrir davantage : pas envie de perdre l’inertie. Après quelques cols supplémentaires, j’arrive à Besse vers 23h30. J’ai réservé une chambre avec repas, je vais pouvoir me refaire la cerise. Belle journée de vélo, avec un départ au milieu de la nuit. Je décide de dormir 4 heures et de repartir vers 4h30. Une bonne nuit, à l’échelle d’une course comme celle-là. Et au vu de ce qui m’attend, c’est clairement le bon choix.

J5 Besse – La Garde- Adhémar : 328km

Au réveil, je me sens bien. J’ai super bien dormi. Dehors, il fait entre 8 et 10°C, et je suis un peu rouillé, il me faudra quelques dizaines de minutes pour me réchauffer. Le soleil se lève, et je pense à une chose: refaire le plein de provisions pour la journée.

Je roule 30 km à jeun avant de tomber sur une boulangerie à Aydat. Les deux boulangères se souviendront sûrement de ce moment : un gars emmitouflé jusqu’aux oreilles, qui sent la sardine, et qui commande 2 muffins, 2 suisses, 4 pains au chocolat et 4 cookies… pour lui tout seul. Scène peu banale.

Vers 8h–9h, j’arrive à la base de vie de Clermont. Je prends le temps de me déshabiller, d’organiser mes sacoches, et surtout de manger une assiette de riz, jambon, fromage… et de boire trois cafés avant de repartir direction le sud ! C’est l’heure de pointe : la circulation est dense, et ça fait quatre jours que je n’ai pas vu autant de voitures. Je zigzague entre les files à l’arrêt. Ce slalom me coûte beaucoup d’énergie : j’ai hâte de sortir du chaos urbain.

Très vite, je me retrouve dans un col sauvage, sans réseau. Le contraste est saisissant. Je traverse le parc naturel du Livradois, direction Le Puy-en-Velay. Il est midi quand je tombe sur un petit Casino. Nous sommes dimanche, donc probablement le seul commerce ouvert avant longtemps. J’y fais des provisions. Sur le parking, je mange quatre tranches de rôti à même le sachet. Faut faire simple.

Je traverse Le Puy, puis les monts d’Ardèche. Je n’ai pas des jambes exceptionnelles, mais ça avance. Mentalement, je suis bien, et je commence à penser à la prochaine base de vie à Digne. Dans la vallée du Rhône, le vent se lève. De belles rafales me bousculent, je dois rester très lucide, surtout dans les descentes.

Au km 1970, j’arrive à Donzère, il est 22h30. Il ne me reste plus qu’un cookie et un suisse… et je n’ai pas vu d’autre point de ravitaillement. Sur Google Maps, je repère un distributeur de pizzas à 1 km de détour. Ça se tente. Mais une fois sur place : rien. Le néant. Il est bientôt 23h, je n’ai rien mangé et je ne sais pas encore où dormir. Je commande un repas sur Uber Eats, en espérant me faire livrer dans la prochaine ville, La Garde-Adhémar. J’y arrive, je déplie mon bivy (sac de couchage en couverture de survie), et j’attends mon burger. Mais les choses ne se passent pas comme prévu. La livraison prend du retard. Je décide d’entamer ma nuit, téléphone à portée de main, au cas où le livreur m’appelle. Le vent souffle fort, j’ai du mal à trouver le sommeil. Finalement, je reçois un message: commande annulée… Certainement trop tard pour une livraison. À 3h du matin, je reprends la route en direction de Vaison-la-Romaine, en espérant y trouver une boulangerie. La nuit a été courte, et l’estomac vide.

J6 La Garde-Adhémar - Dignes : 220km

Après une nuit très courte à La Garde-Adhémar, je reprends la route vers 3h du matin. J’ai faim. Au bout d’environ 40 km, j’arrive enfin à Vaison-la-Romaine vers 6h, juste à temps pour l’ouverture de la boulangerie. Je prends tout en double : feuilleté à la saucisse, chausson aux pommes, suisses, pains au chocolat, café… C’est mon carburant pour affronter ce qui arrive.

Direction la montagne de Lure, surnommée le petit Ventoux. Le soleil monte, et avec lui la température : il fera entre 30 et 35°C dans la journée. Je m’arrête une dernière fois à une fontaine pour remplir mes bidons, ma flasque, et me passer la tête sous l’eau. Je repars avec 2,5 L d’eau pour une ascension de 24 km à 5 % de moyenne. Sur le papier, rien d’insurmontable… mais avec 2100 km dans les jambes et une chaleur écrasante, c’est une autre histoire. Je monte à mon rythme. Il me faudra 2h30 pour atteindre le sommet.

Dans la descente, c’est un four : 38°C à l’ombre. Il est 14h30, je cherche désespérément quelque chose à manger, mais tous les commerces sont fermés. Finalement, je m’arrête à Les Mées, dans un Intermarché. Je fais le tour du magasin et prends ce qui me fait envie: framboises, 6 glaces Bounty, 12 pains au chocolat, fruits secs, pêches… Mon estomac me réclame à la fois du sucré et du frais.

J’arrive à la base de vie de Digne-les-Bains vers 17h30. Je récupère mon drop bag, réorganise mes sacoches, prends une bonne douche, et m’allonge pour dormir trois heures. La fatigue est lourde, et combinée à la chaleur, elle devient difficile à gérer. Je fais le choix stratégique de repartir de nuit, une fois le corps un peu reposé. Je repars donc à 21h45, dans une température plus supportable. C’est le début de l’ultime grand bloc : 404 km et 8000 m de D+ à affronter.

J7 Digne - Mandelieu: 404km

Je repars de Digne vers 21h45. Il fait presque nuit, la température est idéale, et je suis prêt à affronter ce dernier gros morceau. Les sacoches sont pleines, la musette aussi. Rapidement, j’attaque une première bosse... étonnant. Mes écouteurs sont HS depuis l’Auvergne, donc c’est parti pour une nuit en solo, sans distraction. Mais en réalité, j’aime aussi ces moments de silence, d’introspection. Les bosses s’enchaînent, invisibles dans l’obscurité. Je roule sur des routes magnifiques, que je ne devinerai qu’au lever du jour.

Vers 1h du matin, au sommet du col de Fontbelle (11 km à 5%), une voix m’encourage dans un petit village. C’est Thomas, qui s’élancera sur le 500 km deux jours plus tard. Il m’a apporté du café. On discute un moment — un échange salvateur qui brise la monotonie de cette longue nuit. Merci encore à lui. Je bascule ensuite sur Sisteron. La descente est technique, pleine de gravillons : je reste très prudent. À Bayons, vers 4h du matin, je double un cycliste endormi sur une table en bois : c’est Julien, qui terminera juste devant moi au classement. Un peu plus loin, juste avant les fameux Tourniquets de Bayons, je tombe sur une meute de patous qui me bloque la route. Premier réflexe : faire demi-tour. Mais très vite, je me ressaisis. Je sais que je dois passer. Ils sont une vingtaine, répartis de chaque côté de la route, et une dizaine plantés au milieu, prêts à me barrer le passage. J’avance très lentement, toujours sur le vélo, pour observer leurs réactions. Ils sont impressionnants, surtout en pleine nuit, alors que je commence à avoir un coup de mou.

Je suis tendu, mais déterminé. Je n’ai pas envie d’appeler le poste de secours de la course, ni d’attendre d’autres coureurs pour passer en groupe. J’aurais perdu trop de temps. Alors je continue. À ce moment-là, mon envie d’avancer dépasse tout. Leurs aboiements sont intenses, presque agressifs. Ils me tendent. Mais je garde mon calme, je garde ma ligne, et je progresse. Une fois dépassés, j’accélère pour semer ceux qui me suivent encore. L’adrénaline fait le reste. Derrière moi, dans la vallée, j’entends d’autres chiens se mettre à aboyer. J’ai l’impression d’avoir réveillé toute la montagne. Plus tard, j’apprendrai que les coureurs passés 1h30 après moi n’ont vu qu’un seul chien tranquille sur la route…

Le jour se lève. Je longe le lac de Serre-Ponçon, puis attaque le long faux plat montant vers Barcelonnette et Jausiers. Peu de circulation à cette heure-là, mais il faut rester vigilant. J’arrive à la dernière base de vie vers 9h, au pied de la Cime de la Bonette.

Pause de 30 minutes. Je repars serein, avec ma musette remplie de sandwichs préparés par un bénévole. Il n’y a personne : moment calme et précieux avant d’attaquer le mythe. Je monte à mon rythme, pas trop fort pour garder des cartouches — mais je n’ai pas non plus envie d’y passer la journée. C’est long, raide par endroits, mais je reste régulier. Je croise plusieurs cyclistes, intrigués. Ils me demandent quelle course je fais, depuis combien de temps je suis parti, et surtout d’où je viens.

Quand je leur dis “Dinan”, ils lèvent les yeux. C’est vrai que ce n’est pas simple à situer quand on est dans les Alpes… six jours plus tard. Et là, je réalise. Je prends conscience du chemin parcouru. De tout ce que j’ai déjà traversé, physiquement et mentalement. Des milliers de mètres de dénivelé, des dizaines d’heures en selle, des nuits blanches, des coups de chaud, des patous... Et pourtant, je suis encore là, en train de grimper ce col mythique.

Le dernier kilomètre est terrible : entre 12 et 15 %. C’est dur. Très dur. Mais j’avance, en danseuse, concentré sur chaque coup de pédale. Une fois au sommet, je prends quelques instants. J’immortalise ce moment. J’enfile mon coupe-vent. La descente commence. La température remonte. Il me reste moins de 200 km, mais je sais que le plus dur n’est pas encore derrière moi. À Saint-Sauveur-sur-Tinée, je me plonge la tête dans une fontaine. Il fait chaud. Très chaud. J’ai eu quelques phases de somnolence dans le faux plat descendant. Ce n’est pas idéal. Dans la vallée, à Touët-sur-Var, il fait 38°C. Je remplis ma flasque d’eau fraîche et l’applique sur ma nuque pour tenir jusqu’au col de Saint-Raphaël. À ce moment-là, il me reste 120 km et 2500 m de D+. Un effort monumental pour une arrivée pourtant si proche. Les paysages sont splendides, mais je peine à trouver du sens à cette fin de parcours. Pourquoi encore presque 3000 m de D+ après la Bonette ? La patience est plus que jamais ma meilleure alliée.

J’enchaîne une ascension de 17 km, puis une descente et encore 5 km de montée vers le col de Bleine. On redescend à 300 m d’altitude pour remonter à 1500… C’est long. Très long. Je m’efforce de me détacher de la difficulté, d’apprécier ce qui peut l’être. Il reste 100 km. Facile, non ? Non. Ce sont les pires. Enfin, la redescente vers Grasse. Il est presque 21h, mais il reste encore leTanneron avant d’arriver à Mandelieu. Je n’ai plus rien à manger, j’ai faim, mais je n’ai pas envie de quoi que ce soit. Après une semaine de barres et de gels, je rêve d’une pizza. Il est 22h quand j’attaque le Tanneron. Je dois rallumer mes lumières. Mentalement, c’est difficile. Je viens de passer une nuit blanche, je touche mes limites. Je ne suis plus lucide. Ma perception est altérée : je confonds les ombres de branches avec des animaux qui traversent la route. Je devrais m’arrêter pour dormir un peu. Mais la fin est trop proche. Je monte à fond, ou du moins avec ce qu’il me reste.

Au sommet, j’aperçois enfin Mandelieu, les lumières de la ville, des morceaux de mer. Je n’ai plus vraiment d’émotions : je suis vidé. La descente est rapide et sinueuse. Je dois rester concentré. Mes mains sont crispées, je les relâche après chaque virage. Et puis j’arrive. Je reconnais le fameux feu rouge. Cette fois, je m’arrête sagement. Trop fatigué pour prendre le moindre risque. Il est 23h30.

Je suis accueilli comme un roi : Jonas, récent vainqueur de cette édition, Antoine, arrivé en 6 jours, sont là. Je suis seul depuis la veille à 21h… alors voir tous ces visages me submerge. Jonas m’apporte une pizza et une bière. Antoine a mis une musique que j’aime beaucoup. Une belle surprise. Mais je suis trop fatigué pour ressentir quoi que ce soit. Mon cerveau tourne au ralenti. Je suis heureux, je crois. Mais pour l’instant, je me reconnecte doucement à la réalité. J’ai terminé, pour la seconde fois, la Race Across France.

J’ai été plus solide, plus serein, et j’ai beaucoup moins subi la course. J’ai su garder un état d’esprit positif sur la majeure partie du parcours, même dans les moments les plus rudes. Il me reste des points à améliorer : optimiser mes temps d’arrêt, gagner en fluidité sur les bases de vie, mieux anticiper certaines phases de sommeil ou d’alimentation. Mais ce que je retiens surtout, c’est ça : Même après plus de 300 km dans les jambes, je suis capable de dormir à la belle étoile, avec presque rien dans le ventre…et de repartir. Ce constat m’ouvre de nouvelles possibilités : l’année prochaine, je prendrai plus de risques, je dormirai plus souvent en bivouac, car je sais maintenant que je peux récupérer efficacement, même avec un confort très sommaire.

C’est d’ailleurs quelques jours à peine après l’arrivée que j’ai pris ma décision : je reviendrai en 2026. Parce que je sens que je ne suis pas encore allé au bout de ce que je peux donner sur cette course. Parce que cette expérience me donne envie d’aller plus loin, plus vite, différemment. Parce que j’ai encore des choses à apprendre.